Agir pour la Terre, c'est dabali pour demain !
Interview A. Majid T.
À la tête de Green Future Africa, Majid fait partie de cette génération de professionnels africains qui réconcilient écologie, économie et engagement. Spécialiste de la finance verte, il accompagne entreprises, ONG et gouvernements dans la mise en œuvre de projets à impact environnemental et social. Pour « Gbêrê Ecolo », il revient sur son parcours, partage sa vision d’une transition durable made in Africa et plaide pour une mobilisation collective face aux défis climatiques.
ON DJAH LA FOULE
5/7/20258 min read


Bonjour Majid, et merci pour ce temps d’entretien. On commence par les présentations ?
Bonjour, merci à vous pour l’invitation. Je m’appelle Aboubacar Majid TOURE, je suis le fondateur de Green Future Africa, une initiative panafricaine née de la volonté de réconcilier économie, écologie et inclusion sociale. Je suis spécialiste en finance verte et j’accompagne depuis plusieurs années des structures publiques, privées et associatives dans la conception et le financement de projets à impact environnemental positif. Mon parcours m’a conduit à travailler dans différents pays d’Afrique, ce qui m’a permis de tisser des liens solides avec des acteurs engagés sur le terrain.
Quel a été le déclic de votre engagement pour la cause environnementale ?
Ce déclic est venu progressivement. J’ai toujours été sensible aux inégalités et aux injustices sociales, et je me suis rendu compte que la crise écologique est profondément liée aux enjeux de justice : accès à l’eau, sécurité alimentaire, santé, migrations… Tout cela s’aggrave avec le changement climatique. À un moment, j’ai compris que je pouvais mettre mes compétences en gestion de projet, en stratégie et en mobilisation de fonds au service d’une cause plus grande que moi : celle d’un avenir durable et juste pour l’Afrique.
Vous avez fondé Green Future Africa en 2024. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet et sa mission principale ?
Green Future Africa est né d’un constat simple : l’Afrique regorge de talents et d’idées, mais beaucoup de projets à fort impact ne voient pas le jour faute de financement structuré, d’accompagnement ou de reconnaissance. Notre mission est donc double : accompagner les porteurs de projets verts (ONG, startups, collectivités, jeunes entrepreneurs) et connecter ces initiatives avec des sources de financement durables, qu’il s’agisse de fonds internationaux, d’investisseurs ou de partenariats publics-privés. Nous voulons faire émerger une nouvelle génération de projets africains ancrés dans les territoires et résolument tournés vers la durabilité.
Vous avez travaillé dans différentes régions d’Afrique. Quel regard portez-vous sur l’évolution de la conscience écologique sur le continent?
Il y a 10 ans, l’écologie était encore perçue comme un luxe ou une affaire d’ONG. Aujourd’hui, les mentalités changent. Les populations vivent concrètement les effets du dérèglement climatique. Dans les zones rurales comme dans les villes, on ressent l’urgence. Je vois de plus en plus de jeunes, de femmes, de chefs d’entreprise qui s’engagent, qui innovent, qui veulent faire autrement. Ce n’est plus une question de mode : c’est une question de survie et de dignité.
Parcours et engagement
Enjeux sociaux, climat et développement
Projets à impact et innovations durables
Vous êtes spécialisé en finance climatique. Quels sont aujourd’hui les principaux leviers de financement pour des projets verts en Afrique ?
Aujourd’hui, plusieurs leviers sont disponibles, même s’ils restent sous-exploités. Il y a d’abord les fonds climatiques internationaux comme le Fonds Vert pour le Climat (GCF), le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) ou le Fonds d’Adaptation. Ensuite, les banques de développement (BAD, BOAD, Banque Mondiale, etc.) proposent des lignes de crédit spécifiques pour les projets durables. On voit aussi émerger des investisseurs à impact, des fonds ESG et des mécanismes de financement mixte qui combinent fonds publics, privés et philanthropiques.
Mais pour y accéder, il faut des projets bien structurés, alignés avec les priorités climatiques, et portés par des acteurs crédibles. D’où l’importance de l’accompagnement technique et stratégique, notamment pour les jeunes structures.
La finance verte est-elle réellement accessible aux petites structures comme les ONG ou startups africaines ?
En théorie oui, en pratique non. Beaucoup de financements existent, mais les critères d’éligibilité, la complexité des dossiers et le manque de réseaux freinent l’accès des petites structures. Ce n’est pas une question de mérite, mais de capacités institutionnelles. C’est pour cela que chez Green Future Africa, nous avons développé un programme d’appui sur mesure, qui aide les ONG, startups et collectivités à monter leurs projets, à les aligner sur les priorités des bailleurs, et à se positionner sur les bons appels à projets.
Je pense aussi qu’il faut changer de paradigme : la finance verte ne doit pas être réservée aux grandes entreprises ou aux projets à plusieurs millions de dollars. Il faut soutenir l’innovation locale, les micro-projets, les idées qui naissent au plus près du terrain.
Comment voyez-vous l’articulation entre le secteur privé et les politiques publiques pour accélérer la transition écologique ?
C’est une question centrale. Le secteur privé est un moteur d’innovation et de solutions concrètes, mais il ne peut pas agir seul. L’État doit jouer un rôle de facilitateur, de régulateur et de catalyseur. Cela passe par des politiques publiques claires, des incitations fiscales, un cadre réglementaire stable et des mécanismes de soutien ciblés.
Mais au-delà des textes, ce qui manque souvent, c’est le dialogue stratégique entre les parties prenantes. Il faut créer des espaces où les institutions publiques, les entreprises, les ONG et les citoyens peuvent coconstruire la transition. L’Afrique a tout à gagner à bâtir des coalitions locales fortes, où chacun joue sa partition en faveur du climat et du développement durable.
Finance verte et transition écologique
Quelles sont les initiatives ou projets que vous avez accompagnés et dont vous êtes particulièrement fier ?
Il y en a plusieurs, mais si je dois en citer un, je parlerais de la "Pépinière Volante", un projet pilote que nous avons lancé au Sénégal. L’idée est simple mais puissante : créer une pépinière mobile pour produire et distribuer des plants d’espèces locales à haute valeur environnementale, en lien direct avec les communautés rurales. Le projet associe éducation environnementale, agroforesterie et emploi local. Il a suscité un réel enthousiasme, notamment chez les jeunes.
Je suis aussi fier d’accompagné plusieurs ONG et startups dans la mobilisation de financements climatiques, parfois leur tout premier. Voir un projet passer du rêve à la réalité, et avoir un impact tangible sur les territoires, c’est ce qui me motive chaque jour.
Y a-t-il une innovation environnementale récente portée par des Africains qui vous inspire particulièrement ?
Oui, je pense à l’initiative WEEE Centre au Kenya, spécialisée dans le recyclage des déchets électroniques. C’est un sujet souvent oublié, alors qu’il est crucial pour notre santé et nos écosystèmes. Ce centre parvient à combiner gestion des déchets, création d’emplois verts, et sensibilisation.
Je suis aussi très inspiré par les jeunes développeurs africains qui créent des applications de suivi de la déforestation ou de gestion intelligente de l’eau, souvent avec peu de moyens mais beaucoup de détermination. L’innovation africaine est résiliente, pragmatique, et profondément connectée aux besoins du terrain.
Quels secteurs économiques en Afrique sont les plus mûrs, selon vous, pour opérer une transformation écologique rapide ?
Trois secteurs me semblent prêts pour une transformation rapide et profonde :
L’agriculture, qui doit devenir plus durable, régénérative, et adaptée aux réalités climatiques. L’agroécologie, les pratiques bas-carbone, les chaînes de valeur locales sont des leviers puissants.
L’énergie, où les énergies renouvelables — solaire, éolien, biomasse — représentent une opportunité immense d’accès universel et de transition verte.
La construction, enfin, avec l’essor de l’écoconstruction, des matériaux biosourcés, et de l’efficacité énergétique dans les bâtiments.
Ces secteurs sont porteurs de croissance inclusive, de création d’emplois, et d’impact environnemental positif. Il faut investir massivement dedans, et surtout y intégrer la jeunesse africaine.
Peut-on concilier développement économique et impératifs climatiques en Afrique de l’Ouest ?
Non seulement on peut, mais on doit le faire. L’idée selon laquelle il faudrait choisir entre développement et climat est dépassée. En Afrique de l’Ouest, le développement durable est une nécessité vitale, car nos économies sont directement exposées aux impacts du changement climatique : agriculture, ressources en eau, santé, etc.
La clé réside dans une approche intégrée : investir dans des infrastructures résilientes, favoriser des modèles économiques bas-carbone, soutenir les innovations locales et renforcer les capacités institutionnelles. C’est une opportunité historique de bâtir une croissance inclusive, porteuse d’emplois, respectueuse des ressources, et surtout tournée vers l’avenir.
Les jeunes Africains sont de plus en plus sensibles aux questions d’environnement. Comment les intégrer plus activement à la dynamique de transformation verte ?
Je suis convaincu que la jeunesse est notre meilleur atout pour réussir la transition verte. Il faut leur offrir des espaces d’expression, de formation, mais surtout des opportunités concrètes : stages, financements de micro-projets, hackathons climatiques, incubateurs verts…
À travers Green Future Africa, nous travaillons justement à la création de programmes dédiés aux jeunes entrepreneurs et porteurs de projets à impact. Il faut miser sur leur énergie, leur créativité, leur connexion au numérique, et leur engagement pour le changement. Mais cela suppose aussi que les décideurs leur fassent vraiment confiance.
Quelle place pour la responsabilité sociale des entreprises dans cette nouvelle économie verte que vous appelez de vos vœux ?
La RSE ne doit plus être un simple outil de communication. Elle doit devenir le cœur stratégique de l’entreprise, notamment en Afrique, où les attentes sociales et environnementales sont immenses. Aujourd’hui, une entreprise qui ne prend pas en compte son impact sur le climat, sur les communautés, ou sur la biodiversité met en péril sa propre durabilité.
La nouvelle économie verte que je défends est une économie inclusive, éthique et orientée vers la création de valeur partagée. Cela suppose que les entreprises s’engagent dans des politiques RSE ambitieuses, mesurables, et coconstruites avec leurs parties prenantes. C’est aussi un formidable levier d’innovation, d’attractivité et de compétitivité.
Perspectives et convictions personnelles
Si vous aviez une seule mesure politique à recommander aux dirigeants africains pour accélérer la transition, quelle serait-elle ?
Je recommanderais de créer un Fonds National pour la Transition Écologique, doté de ressources publiques et privées, et spécifiquement dédié aux jeunes entrepreneurs, ONG, collectivités et projets locaux à impact. Ce fonds aurait pour mission de catalyser les initiatives vertes, en assurant un accès simplifié au financement et à l'accompagnement.
Trop souvent, les financements climatiques internationaux ne descendent pas à l’échelle locale. Il faut inverser cette logique : mettre la transition à hauteur d’homme et de territoire, avec une gouvernance transparente et participative.
Comment définiriez-vous l’« écologie africaine » ? Est-elle différente des approches du Nord ?
Oui, je crois que l’écologie africaine est à la fois populaire, communautaire et enracinée dans les réalités locales. Elle ne se pense pas uniquement en termes de technologie ou de réglementation, mais comme une relation vivante avec la terre, l’eau, les savoirs traditionnels, et le tissu social.
Contrairement aux modèles du Nord, parfois trop technocentrés, notre écologie peut être une écologie de la résilience, de la solidarité et de la justice sociale. Elle est profondément politique, car elle touche à la souveraineté alimentaire, à l’accès à l’énergie, au droit à un environnement sain. Et surtout, elle est porteuse d’espoir.
Enfin, quel message souhaitez-vous adresser à nos lecteurs, jeunes et moins jeunes, soucieux de contribuer à un avenir plus vert pour l’Afrique ?
Je leur dirais ceci : ne sous-estimez jamais votre pouvoir d’agir. Chaque idée, chaque action, chaque projet local peut avoir un impact immense. L’Afrique a besoin de toutes les forces vives pour construire un futur durable, juste et prospère. N’attendez pas que tout soit parfait pour commencer. Engagez-vous là où vous êtes, avec ce que vous avez. La transition écologique ne viendra pas d’en haut, elle se construira avec nous tous.
Et surtout, rappelez-vous : défendre la planète, c’est aussi défendre la dignité humaine.